mardi 26 janvier 2010

N°125-Burqatastrophe : Pas de quoi fouetter une chatte

Je vous annonçais à la fin de l’année dernière que l’année 2010 serait un annus horribilissimus. Mes prévisions se confirment, en particulier pour la France. Depuis des semaines, le monde politique et médiatique est agité par deux thèmes qui  s’entrecroisent et se mélangent : l’identité nationale et le port de la burqa. Il semblerait que la France s’enfonce joyeusement ( ?) dans la burqatastrophe.  Que faut-il penser de tout ça et que faire ? J’avoue ma profonde perplexité, que vous êtes sans doute nombreux-ses à partager. Voici en tout cas ce dont je suis sûr :


1° - Aucune identité, ni individuelle ni collective, n’est fixée une fois pour toutes. L’identité, quelle qu’elle soit, n’est pas une statue de bronze, mais plutôt un torrent de montagne, une nuée ardente*.

2° - La « réislamisation » des jeunes générations nées en France de parents, de grands-parents ou d’arrière-grands-parents venus du Maghreb et d’Afrique sub-saharienne, est l’indice le plus sûr de leur « intégration » dans la société française. À partir de 1975, les « immigrés » de culture musulmane ont  compris qu’ils n’étaient plus de passage, en voyage, en exil mais qu’ils étaient destinés à vivre et mourir en France et leur progéniture avec eux. Donc, la France changeait de statut, passant de celui de territoire du « Dar El Harb » (maison de la guerre) à celui de territoire de« Dar El Islam », dans lequel on est tenu de respecter les obligations religieuses.

3°- Les premières jeunes filles –elles étaient marocaines - à porter le hijab en France, en 1989, étaient nées ou arrivées dans le pays autour de 1975, dans la vague de regroupement familial qui suivit la fermeture des frontières. Leur décision était motivée par leur souhait de poursuivre leurs études au-delà de la scolarité obligatoire, qui se heurtait à l’opposition de leurs grands-mères restées au Maroc, qui essayaient de convaincre les parents des jeunes filles de les marier vite fait bien  fait pour leur éviter la perdition sur des bancs universitaires. En arborant le hidjab, les jeunes filles envoyaient le message suivant à leurs grands-mères : « Je peux faire des études sans devenir pour autant une dévergondée ».



Burqa républicaine


4°- La « réislamisation », comme tout phénomène de conversion, est une construction imaginaire, un bricolage syncrétique, dans lequel  les intéressé-es se fournissent en arguments, attributs et signes extérieurs pris à des sources très diverses : lectures, contacts personnels, imams, oulémas et prêcheurs plus ou moins savants, plus moins cultivés, plus ou moins sérieux, et…la télé ! De nombreux jeunes Musulman-es de France finissent par  donner d’eux-elles l’image, généralement caricaturale, renvoyée par le petit écran. À qui la faute ?
5° - Une chose est sûre : le hijab ou même la burqa augmentent la valeur des jeunes filles qui les portent sur le marché matrimonial musulman, et donc le prestige de leurs familles. Ils ne sont rien d’autre que l’affichage d’une virginité, réelle ou prétendue.



Burka Chic, Huile et acrylique, 122X96 cm, de la série "Burka chic", de l'artiste britannique musulmane Sarah Maple

6°- La burqa, qui n’est évidemment pas une obligation musulmane mais plus simplement une tradition pachtoune d’Afghanistan, concentre toutes les passions de ce nouveau siècle. D’autres générations ont adopté la casquette Mao, le béret Guevara, ont brûlé leurs soutien-gorges, adopté la mini-jupe ou se sont laissé pousser la barbe. Et dans les pays arabes, la police depuis belle lurette fait la chasse aux jeunes barbus : dans les années 70, ils étaient soupçonnés d’être des communistes, aujourd’hui, d’être des islamistes. Et pour les filles, la chasse aux minijupes a été remplacée par la chasse aux voiles divers.


Burqa érotique


7° - Tout ceci dit, le port de la burqa en France est un phénomène microscopique, qui touche tout au plus 300 personnes. Donc pas de quoi fouetter une chatte. Mais  il est insupportable à ceux qui ressentent une énorme frustration à ne pas pouvoir dévisager des femmes, c’est-à-dire à prendre symboliquement possession de leur corps. Ces nouveaux Tartuffe qui s’avancent masqués en anti-Tartufe pourraient dire : « Ne cachez pas ce visage que je me dois de voir ». Si une femme ne veut pas que je voie son visage, quelles que soient ses raisons, c’est son droit et je ne vois pas au nom de quoi je devrais lui imposer mon droit à le voir à tout prix. Cela peut me déranger, mais je ne vois pas en quoi cela pourrait me nuire. Or, selon la bonne vieille Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, "La liberté consiste à faire tout ce qui ne nuit pas à autrui". Et pour citer le bon vieux Jean-Sol Partre, "Ma liberté s'arrête où commence celle d'autrui." (Sujet classique de dissertation de philosophie sur lequel les honorables membres  de la mission d'information parlementaire sur le port du voile intégral auraient du plancher).
La liberté des regardeurs s’arrête où commence celle des regardées.


Ayman El Kayman, le petit philosophe des lumières du marigot


* Nuée ardente : 
Grand volume de gaz brûlants à très forte pression transportant, suite à à une violente explosion, des masses considérables de débris de lave ( des cendres aux blocs en passant par les scories) et se déplaçant à grande vitesse (100 km/h et plus).[définition selon futura-sciences.com]


Bonne semaine, quand même !
Que la Force de l’esprit soit avec vous !
...et à la semaine prochaine !

Dessin de DILEM, Algérie

mardi 19 janvier 2010

N°124- La recolonisation post-sismique d’Haïti


 Ayiti, Haïti, île-martyre, île-flambeau de la liberté des Nègs1, première république noire de l’histoire, est en train d’expérimenter une invention qui a germé dans les cabinets du pouvoir des Maîtres du monde : la recolonisation post-sismique.
L’île, qui a été occupée par l’US Army de 1915 à 1934, est à nouveau occupée par la même armée depuis quelques jours. Les troupes yankees ont pris le contrôle de l’aéroport de Port-au-Prince et d’autres points stratégiques.



Et évidemment, l’Union européenne ne veut pas être en reste dans cette opération de recolonisation. Les Bruxellocrates se tâtent donc pour savoir s’ils vont envoyer une force de police ou bien une force de gendarmerie.
Nicolas le petit ferait bien de méditer sur l’échec cuisant subi par son Grand Modèle, Napoleone Buonaparte, dont le corps expéditionnaire fut mis en déroute par les combattants de la liberté il y a 210 ans. Victoire la plus chère de l’histoire de l’émancipation des peuples esclavagisés/colonisés puisqu’elle coûta 90 millions de francs-or à la République d’Haïti, payés en guise de dommages et intérêts à l’ancienne puissance coloniale qu’était la France en échange de sa reconnaissance de l’indépendance d’Haïti.
 Et c’est cette dette infâme qui fut à l’origine de la tragédie séculaire vécue par l’île. C’est là l’origine de la « malédiction » qui frappe Haïti.

Yankees e ewopeyen : sòti Ayiti !


1-      En kreyòl, Nèg veut dire tout simplement être humain



Les Marines US tuèrent plusieurs milliers de « bandits » dans les années qui suivirent l’occupation

Charlemagne Peralte, ancien officier qui avait pris la tête de la résistance armée contre l’occupation yankee, fut capturé et assassiné en 1919 par un escadron de 22 Marines grimés en Nègres, et son corps exposé dans sa ville natale de Hinche. Les photos de son corps furent distribuées dans toute l’île pour semer la terreur. Le chef de l’escadron de la mort, le sergent Herman Hanneken, fut décoré de la Médaille d’Honneur. Ce haut fait d'armes de l'US Army a longtemps été enseigné comme un exemple éclatant de guerre contre-insurrectionnelle dans les écoles militaires US. Je ne suis pas sûr qu'il ne soit plus enseigné.

Bonne semaine, quand même !
Que la Force de l’esprit soit avec vous !
...et à la semaine prochaine !

mardi 5 janvier 2010

N°123-Le mur de la honte et la tour d’orgueil

Svenska: Skammens mur och högfärdens torn
Türkçe: Utanç duvarı ve kibir kulesi


Tout monarque qui se respecte se doit de marquer son passage éphémère sur cette terre par au moins une construction monumentale digne de lui et qui laisse une empreinte durable sur les hommes et dans le paysage. Louis XIV nous a laissé Versailles, Shah Jahan nous a laissé le Taj Mahal, Mitterrand la Pyramide du Louvre, Hassan II la mosquée de Casablanca et le Mur du Sahara. Deux monarques régnants arabes n’ont pas voulu manquer à cette tradition.


Le Mur d’Acier de Moubarak

Hosni Moubarak, le pharaonicule, lèguera à la postérité un monument très particulier, Al Jidar Al Fouladhi, Le Mur d’acier, qu’on appellera Jidar Al Khazi Al Moubarakii (Le Mur de la honte de Moubarak).
Ce mur d’acier enterré à 35 mètres de profondeur, est en train d’être construit tout le long de la frontière entre la bande de Gaza et l’Égypte. Il sera doublé d’un canal souterrain amenant de l’eau de la Méditerranée, qui servira à noyer les tunnels creusés par les Gazaouis pour échapper à leur enfermement meurtrier. Le chantier bat son plein. Il est supervisé par des officiers des services de renseignements militaires US et français installés dans un QG à l’ambassade US du Caire et disposant d’un “poste de commandement avancé” à El Arish. À la mi-décembre, le général français Benoît Puga, chef de la DRM (Direction du renseignement militaire) a visité le chantier.
Cette affaire a éclaté fin décembre, suite à des indiscrétions israéliennes et le gouvernement égyptien, après des faibles dénégations, a finalement reconnu que le projet était en cours de réalisation. Les Palestiniens et leurs amis se sont alors sérieusement énervés et les critiques ont commencé à fuser.
Le 29 décembre, Cheih Yousouf Al Qardaoui, président de l’Union internationale des Oulémas musulmans, a émis une déclaration (improprement qualifiée par certains  commentateurs de “fatwa”) condamnant ce mur comme “un crime injustifiable” que l’Islam ne saurait tolérer et lançant un appel à la Ligue Arabe et à l’Organisation de la conférence islamique pour qu’elles interviennent auprès de l’Égypte afin qu’elle annule le chantier.

Le 1er janvier, réponse du berger à la bergère: Cheikh Mohammed Said Tantaoui et ses 25 collègues du Conseil de recherche scientifique islamique de l’Université Al-Azhar, qui sont des fonctionnaires religieux stipendiés par le gouvernement égyptien, ont émis rien moins que ce qu’ils présentent eux-mêmes comme une fatwa, déclarant que le mur d’acier est strictement halal (licite) et que ceux qui s’y opposent “violent les commandements de l’Islam”, autrement dit sont des apostats. En effet,  expliquent nos docteurs (ou)folislam*, les tunnels creusés par les Gazaouis sous la frontière,“sont utilisés pour des trafics de drogue et autres contrebandes qui menacent la stabilité de ‘Égypte”. Bref, de quoi s’arracher tous les poils de la barbe.

La Tour Infernale de Khalifa



À un autre bout du monde arabe, dans l’Émirat de Dubai (200 milliards de $ de dettes), a été inaugurée lundi 4 janvier la tour la plus haute du monde, Burj Al Khalifa (Château-Khalifa, du nom de l’émir régnant), qu’on pourrait appeler Burj Al Majd Al Abir Al Khalifa (Château de la Gloire éphémère de Khalifa) : haute de 828 mètres, elle compte 164 étages et a coûté la bagatelle de 1,5 miliard de dollars. Sa construction avait été quelque peu retardée par les grèves des esclaves asiatiques du chantier en 2007 (lire à ce sujet Révolte à Dubaibylone et L'intifada des travailleurs indiens)  mais finalement tout s’est bien terminé ("tout va bien jusqu'ici...").  "Vous vous demandez pourquoi on construit tout ça? Pour améliorer la qualité de vie et mettre un sourire sur les visages, et je crois que nous devons continuer à le faire. Les crises vont et viennent. Nous construisons pour l'avenir ", a expliqué Mohamed Alabbar, président de Emaar Properties, plus gros promoteur immobilier du monde arabe, à l’origine du projet. La tour (entourée d’un cercle sur notre photo satellite) constitue le fleuron d’un quartier qui a coûté 20 milliards. Elle devrait héberger 12 000 personnes, des bureaux et  un hôtel Armani.
De source généralement bien informée, on apprend que Cheikh Ben Laden n’attend plus que la livraison par Airbus d’un A 380 pour l’envoyer se crasher contre cette tour du diable.
À ma connaissance, Château-Khalifa n’a fait l‘objet d’aucune fatwa, ni pour ni contre. Pourtant, il ya aurait de quoi dire. Je livre quelques éléments de réflexon aux oulémas qui voudraient se pencher sur la question.
Parmi les signes de la fin des temps et de l’approche du Jugement dernier, le Prophète (صلى الله عليه و سلم), répondant à une question de Jibrîl (عليه السلم) indique celui-ci : "Quand tu verras (…) les va-nu-pieds, les gueux, les miséreux et les bergers rivaliser dans la construction de maisons de plus en plus hautes." (hadith rapporté par Al-Boukhâri et Mouslim)
« Bâtissez-vous par frivolité sur chaque colline un monument? Et édifiez-vous des châteaux comme si vous deviez demeurer éternellement? », demande le prophète Hûd (عليه السلم), descendant du prophète Noah  (عليه السلم), au peuple infidèle des Aad dans le Coran (Sourate 26, As Shuaraa, Les Poètes, 128-129) et il ajoute : « Je crains pour vous le châtiment d'un Jour terrible. » Et le châtiment viendra, sous forme d’une sécheresse, apportée par un « vent stérile », les Aad s’étant repentis trop tard de leur orgueil.

Le mot de la fin à un autre immortel, le grand Bertolt Brecht :
Questions que se pose un ouvrier qui lit

Qui a construit Thèbes aux sept portes ?
Dans les livres, on donne les noms des Rois.
Les Rois ont-ils traîné les blocs de pierre ?
Babylone, plusieurs fois détruite,
Qui tant de fois l’a reconstruite ? Dans quelles maisons
De Lima la dorée logèrent les ouvriers du bâtiment ?
Quand la Muraille de Chine fut terminée,
Où allèrent ce soir-là les maçons ?  Rome la grande
Est pleine d’arcs de triomphe. Qui les érigea ? De qui
Les Césars ont-ils triomphé ? Byzance la tant chantée.
N’avait-elle que des palais
Pour les habitants ? Même en la légendaire Atlantide
Hurlant dans cette nuit où la mer l’engloutit,
Ceux qui se noyaient voulaient leurs esclaves.

Le jeune Alexandre conquit les Indes.
Tout seul ?
César vainquit les Gaulois.
N’avait-il pas à ses côtés au moins un cuisinier ?

Quand sa flotte fut coulée, Philippe d’Espagne
Pleura. Personne d’autre ne pleurait ?
Frédéric II gagna la Guerre de sept ans.
Qui, à part lui, était gagnant ?

A chaque page une victoire.
Qui cuisinait les festins ?
Tous les dix ans un grand homme.
Les frais, qui les payait ?

Autant de récits,
Autant de questions.


Ayman El Kayman, délégué local de l’UMTA (Union mondiale des talib amateurs, Al Intihad Al Alami Li Talabati Al Houat)


* L’auteur fait ici un triple jeu de mots, dont il reconnaît être assez fier, entre Docteur Folamour, foul (fèves en arabe) et oufoul (la fin en arabe).

Bonne semaine, quand même !
Que la Force de l’esprit soit avec vous !
...et à la semaine prochaine !