lundi 26 février 2007

N° 26 – La valse de la Mortadelle

Premier temps de la valse : dans la soirée du mercredi 21 février, à Rome, le Sieur Mortadella s’est rendu chez le Sieur Giorgio o Magro (Georges le Maigre) pour lui remettre la démission de son gouvernement, suite à l’échec essuyé dans l’après-midi au Sénat par le Sieur Baffo ( Moustache), son ministre des Affaires étrangères. Deuxième temps de la valse : après quatre jours de réflexion, O Magro a annoncé le samedi 24 février qu’il refusait la démission de Mortadella, l’enjoignant à demander un vote de confiance aux chambres. Troisième temps de la valse : le Sieur Mortadella présentera donc son gouvernement n°2 bis aux chambres, en commençant par le Sénat, mercredi ou jeudi prochain.



Mortadella, O Magro et Baffo sont les nouveaux personnages de cette incroyable Commedia dell’Arte qu’est la politique italienne.
Mortadella, c’est Romano Prodi, aussi surnommé « Il Professore ». La mortadella, c’est le célèbre saucisson rose et blanc de pur porc de l’Émilie-Romagne, dont est originaire le Premier ministre italien.
Baffo, c’est Massimo d’Alema, ancien communiste, présentement social-démocrate bon teint, vice-président de l’Internationale socialiste, ancien et sans doute futur Premier ministre.
Giorgio o Magro, c’est Giorgio Napolitano, 81 ans, onzième président de la République italienne depuis octobre dernier. Son surnom lui fut donné par ses camarades communistes à Naples, sa ville natale, où il fit une carrière d’apparatchik du parti de Togliatti pendant 45 ans. Ses camarades l’avaient surnommé ainsi pour le distinguer de Giorgio o Chiatto, Georges le Gras, autrement dit Giorgio Amendola, leader de l’aile droite, réformiste du PCI, qui fut le maître à penser de Napolitano et avec lequel celui-ci finit par se brouiller à propos de l’occupation soviétique de l’Afghanistan en 1979. Amendola était pour, Napolitano était contre.
Et c’est ce même Afghanistan qui a été à l’origine de la démission du 59ème gouvernement italien depuis 1945. 60 gouvernements en 60 ans, c’est un record en Europe et dans le monde. Autres records : le nombre absolument incroyable de ministres, vice-ministres, secrétaires d’État et sous-secrétaires d’État du gouvernement Prodi. J’ai renoncé à essayer de les compter, mais un ami m’assure qu’ils sont…109 ! Un vrai orchestre symphonique. Ou plutôt cacophonique. C’est que ces messieurs-dames appartiennent à neuf formations politiques qui constituent un ensemble très hétérogène, dont la coordination a de quoi donner des migraines. La coalition dirigée par Prodi est un véritable supermarché, avec un côté jardin botanique. Qu’on en juge plutôt :
Il y a d’abord l’Olivier, qui regroupe les démocrates socialistes de Massimo d’Alema, anciens communiste devenus sociaux-démocrates et quelques comparses, lesquels sont en train de préparer leur transformation en « grand » Parti démocrate. À l’intérieur de l’Olivier, il y a le Chêne et la rose, emblèmes de ces démocrates socialistes. Puis il y la Marguerite, de Francesco Rutelli, parti frère de l’UDF de François Bayrou, une sorte de sociaux-démocrates-chrétiens. Ensuite, il y a la Rose au poing, regroupement radical-socialiste. Enfin, il y a le Tournesol, autrement dit les Verts. À ces noms de plantes s’ajoutent des noms poétiques comme « l’Italie du milieu » ou « l’Italie des valeurs ». Bref, la coalition est une famille nombreuse, puisqu’elle regroupe pas moins de 12 partis ou formations politiques, dont certains sont des groupuscules qui pourraient tenir congrès dans une cabine téléphonique. Autre record italien : c’est le pays qui a le seul gouvernement comptant à la fois : 1 parti ex-communiste (le PDS) et 2 partis communistes maintenus (le Parti de la refondation communiste et le Parti des communistes italiens), trois partis sociaux-démocrates, trois partis démocrates-chrétiens, 1 parti libéral, 1 parti écologiste et 1 parti de consommateurs (les « consommateurs unis »). Il ne manque à cet inventaire qu’un parti de cyclistes et un parti végétarien, mais cela ne saurait tarder, puisque le Sieur Mortadella a promis d’élargir sa coalition.


Camion de propagande électorale : « Romano Prodi président : le sérieux au gouvernement » (sic)


C’est que le Sieur Mortadella est champion dans une discipline qui devrait devenir olympique : le Grand Écart. La seule chose qui l’intéresse, c’est de rester au gouvernement, à n’importe quel prix et c’est bien cela qui semble souder la coalition : ils s’accrochent tous à leurs fauteuils et strapontins. Certains d’entre eux ont même siégé auparavant dans la coalition « La Maison des libertés » de l’inénarrable Sieur Berluska (Berlusconi) et se ont ralliés sans états d’âme à l’Union de Prodi.
Mais que s’est-il donc passé le 21 février ?
La journée a commencé au Sénat à 9 heures. Le ministre des Affaires étrangères Massimo d’Alema y a présenté un exposé de politique étrangère qui a ensuite été soumis au vote. Les sénateurs sont 319. 318 étaient présents. La majorité requise était de 160. Dans les votes au Sénat, une abstention vaut comme un vote contre. 4 sénateurs de la majorité se sont abstenus : Fernando Rossi, un indépendant de l’Union, Franco Turigliatto, un refondateur communiste, Bulgarelli, un vert et Follini, un démocrate-chrétien. Le gouvernement n’a donc obtenu que 158 voix, ce qui équivalait à un vote de défiance. Les deux points sur lesquels a eu lieu le clash étaient la poursuite de la présence militaire italienne en Afghanistan et l’extension de la base militaire aérienne US Dal Molin, près de Vicenza, dans le Nord-Est de l’Italie. L’Italie est un porte-avions de l’armée US depuis 1945 et ce ne sont pas les anciens communistes du gouvernement Prodi qui entendent remettre en cause la « vieille amitié » avec l’Oncle Sam. Malheureusement pour Prodi et d’Alema, le samedi 17 février, une manifestation monstre de plus de 100 000 personnes a eu lieu à Vicenza contre le projet de base militaire et un certain nombre d’élus communistes et verts y ont apporté leur soutien. Le modèle du mouvement civique contre la base est l’autre grand mouvement contestataire qui agite la Vallée de Susa dans le Piémont, contre le projet de TGV Turin-Lyon. L’ensemble de la population et la quasi-totalité des élus sont entrés en résistance contre ce projet qui menace de défigurer leur vallée. Pour corser les choses, quelque jours avant la manifestation de Vicenza, la police a arrêté plusieurs dizaines de syndicalistes, accusés de vouloir reconstituer les Brigades rouges, ce qui a permis à la presse de chauffer l’ambiance à la veille de la manif, en prophétisant des désordres apocalyptiques, lesquels n’ont évidemment pas eu lieu, tout s’étant déroulé dans la plus grande sérénité.

Dans une Europe où le clivage gauche-droite est totalement brouillé au niveau des représentations politiciennes, le gouvernement Prodi 2bis ne sera pas plus de gauche que le 2. Lequel a adopté une augmentation du budget militaire de 13%, la plus importante dans l’historie de l’Italie d’après-guerre. Mais que pouvait-on attendre d’autre d’un gouvernement dirigé par l’auteur d’un livre intitulé « Le capitalisme bien tempéré » ?
Bonne semaine, quand même !
Que la Force de l’esprit soit avec vous


lundi 19 février 2007

N° 25 – « Tous ensemble, tous ensemble »…contre l’Iran

Nicole Borvo Cohen-Séat à la Mutualité le 13 février 2007


« Aujourd’hui un nouvel Hitler est né : Il s’appelle Ahmadinejad . Au mémorial de la Shoah, on peut voir et entendre Goebbels, Ribbentrop et Hitler exprimer la même haine, les mêmes fantasmes, les mêmes calomnies que Ahmadinejad à Téhéran.
Hier c’était les juifs. Aujourd’hui c’est Israël qu’on veut anéantir. Au nom du Dieu commun aux religions monothéistes, Voilà un pays, l’Iran, qui n’a aucune frontière commune avec l’Etat d’Israël, et qui clame sa volonté de supprimer un autre État reconnu par l’ONU.
Au nom du même Dieu commun, Voilà un pays qui, au mépris de la mémoire meurtrie du peuple juif et de la vérité historique, organise un symposium négationniste mondial à Téhéran! J’ai rencontré des déportés qui pleuraient à la nouvelle de cette conférence.
Quand je dis que Ahmadinejad c’est le nouvel Hitler, on me dit : « vous exagérez, il a été élu démocratiquement ». Mais Hitler aussi. On me dit que Ahmadinejad est un clown, un guignol qui ne tiendra pas longtemps. Mais on disait la même chose pour Hitler dans les années trente.
En revanche, il y a une vraie différence entre les deux : Ahmadinejad est à 24 ou 36 mois de se doter de l’arme atomique. »

Ces phrases ont été prononcées le 13 février au palais de la Mutualité à Paris, par Roger Cukierman, président du CRIF (Conseil représentatif des institutions juives de France), lors d’un meeting « Contre le négationnisme et la menace du nucléaire iranien ».

Ce meeting s’inscrivait dans une machine de guerre de désinformation lancée depuis plusieurs mois par Israël et relayée aux USA par les principales organisations du lobby israélien. L’objectif de cette campagne est simple : préprarer l’opinion à une guerre contre l’Iran. Le moyen choisi est de tenter d’obtenir le soutien des deux grands partis US, les républicains comme les démocrates, à ce projet de guerre.

La version française de cette campagne a donc connu son temps fort le 13 février, avec le meeting de la Mutualité, précédé d’une manifestation au Mémorial du Martyr juif inconnu, rue Geoffroy l'Asnier.

Les orateurs au meeting étaient, outre Roger Cukierman :

- Christian Poncelet, Président du Sénat,
- Bertrand Delanoë, Maire de Paris
- François Léotard, ancien ministre
- Rudy Salles, Député des Alpes-Maritimes et Président du groupe amitié France-Israël à l’Assemblée nationale, qui représentait François Bayrou, candidat de l’UDF à l’élection présidentielle
- Pierre Lelouche, Député et Conseiller de Paris qui représentait Nicolas Sarkozy, candidat de l’UMP à l’élection présidentielle
- Nicole Borvo Cohen-Séat, Sénatrice et Conseillère de Paris, qui représentait Marie-Georges Buffet, candidate du PCF à l’élection présidentielle
- Corinne Lepage, Présidente de Cap 21 et candidate à l’élection présidentielle
- Jean-Louis Bianco, Député des Alpes de Haute Provence et Codirecteur de campagne de Ségolène Royal, candidate du PS à l’élection présidentielle, qu'il représentait.

Tous les orateurs ont brodé sur le même thème : Ahmadinejad menace Israël, l’Occident, la démocratie, la planète, bref il est le Grand Satan Absolu, le "nouvel Hitler".

"Ahurissant"

Cet événement n’a suscité qu’UNE SEULE protestation, celle des sections du PCF de Douai (Nord) et de Paris XVème :
« Dans son édition datée des 11 et 12 février « Le Monde » publie une publicité du CRIF (Conseil Représentatif des Institutions Juives de France) appelant à un « meeting » à Paris, à la Mutualité le 13 février « contre la menace iranienne ».
L'Iran est présenté dans cet appel comme « un danger mortel pour la paix dans le monde » dans la mesure où : Il défierait « le concert des Nations Unies par un programme nucléaire militaire » Il a organisé « une conférence négationniste internationale » Il multiplie « les appels à rayer Israël de la carte » Il est indiqué dans cette publicité « qu'ont donné leur accord de principe pour prendre la parole à ce meeting », entres autres : François BAYROU, Bertrand DELANOE, Ségolène ROYAL, Nicolas SARKOZY, ... et Nicole BORVO. Que l'on retrouve dans une telle aventure celui qui, dans son discours de Toulon il y a quelques jours, s'est placé à l'ombre de Le PEN après s'être placé sous celle de BUSH à l'automne dernier, ne surprendra personne. On connaît la ligne atlantiste de l'UDF. Que le maire de Paris, comme la candidate socialiste, soient présents ne surprendra pas beaucoup plus : les déclarations de Mme ROYAL sur l'Iran, qui vont bien au delà des résolutions de l'ONU, sont connues, de même que la mansuétude dont elle fait preuve, comme DELANOE, à l'égard du mur de l'apartheid en Palestine, pourtant condamné par plusieurs résolutions internationales.
Mais que la sénatrice de Paris, dirigeante nationale du PCF, participe à une entreprise dont les responsables n'ont que mépris pour le droit international et les résolutions de l'ONU, et notamment le droit du peuple palestinien à un Etat, est proprement ahurissant. Antisémitisme et révisionnisme sont intolérables, et doivent être combattus. Mais après la guerre menée par Israël contre le Liban et la Palestine l'été dernier, après la décision du président américain de poursuivre et renforcer la guerre contre le peuple irakien avec 21500 soldats supplémentaires, après les menaces de frappes américaines et israéliennes sur l'Iran une telle présence à la Mutualité, le 13 février, ne peut être qu'un encouragement aux agressions américaines et israéliennes au Moyen Orient. C'est d'autant plus inacceptable que le peuple américain vient de montrer massivement, il y a deux semaines, sa mobilisation contre la guerre et la politique de Bush. Non, les responsables du PCF n'ont pas à se transformer en supplétifs des USA et d'Israël. Ils ont tout au contraire à faire naître en France une mobilisation de masse, y compris par des manifestations unitaires, pour la paix et la reconnaissance des droits du peuple palestinien, comme pour le droit à la liberté et à l'indépendance nationale des peuples du Moyen-Orient. »
Je n’ai noté aucune réaction dans les rangs du PS, de l’UMP et de l’UDF. Qui ne dit mot consent. Les principaux partis politiques français se sont donc rangés sans broncher sous le drapeau des va-t-en guerre de Tel Aviv et Washington. Pauvre France !

Bonne semaine, quand même !
Que la Force de l’esprit soit avec vous !

lundi 12 février 2007

N° 24 – Le Pacte Royal : une rhapsodie en gris


« Avec moi, plus jamais la politique ne se fera sans vous… (C’est) plus qu’un programme, un pacte présidentiel , un contrat d’honneur que je propose à toutes à tous » : dimanche 11 février, devant 15 000 supporters, Ségolène Royal a « dévoilé » son « pacte présidentiel » en 100 points, qui rappellent furieusement les « 110 propositions » qui avaient fait élire François Mitterrand en 1981.

Ce pacte présidentiel ne contient rien de bouleversant ou de décoiffant : c’est un banal programme social-démocrate mâtiné de libéralisme, plein de promesses financières alléchantes dont on se demande bien sûr comment leur réalisation sera financée.

L’équipe de Canine Royale avait mis le paquet pour le lancement du « pacte », qui entend répondre au « pacte républicain » de Sarkozy. C’est qu’on s’inquiétait à l’état-major de Royale devant la chute vertigineuse des intentions de vote en faveur de la Madone du Poitou depuis un mois et la montée inquiétante des intentions de vote en faveur de Bayrou et Le Pen. On a donc sorti l’artillerie lourde et changé de slogan : « Le progrès pour tous, le respect pour chacun » est désormais remplacé par « Plus juste, la France sera plus forte ». Autrement dit, on est passé de « demain, on rasera gratis » à « demain on rasera à crédit, avec aftershave gratuit ».

Le « pacte » ressemble à un catalogue de la Redoute : on y trouve de tout, à défaut d’y retrouver tout, depuis l’augmentation du SMIC (de 1250 actuellement à 1500€) à la taxe Tobin réclamée par ATTAC, en passant par l’augmentation des petites retraites ou la prévention des maladies graves (cancer, SIDA, Alzheimer, maladies orphelines), sans oublier la contraception gratuite pour les femmes de moins de 25 ans, le crédit de 10 000 € à taux zéro pour les jeunes créateurs d’entreprises et les fameux « centres éducatifs renforcés, si besoin avec un encadrement militaire » pour les sauvageons de banlieue. L’essentiel des points concerne la politique intérieure, seuls douze points concernent la politique européenne et internationale et l’immigration est ravalée dans les trois derniers points.

Sur la politique internationale, Royale reste assez vague : « maîtriser la mondialisation, réviser notre politique d’aide au développement, relancer la coopération euroméditerranéenne ». Ce qui ne mange pas trop de pain. Tout comme la proposition d’ « une initiative pour une Conférence internationale de paix et de sécurité au Proche Orient. » à lancer avec « nos partenaires européens ».

Bref, tout cela me semble voler au ras des pâquerettes et manquer d’une vision de nature à enthousiasmer les électeurs. La couleur annoncée n’est plus le rose, mais le gris.

Voilà ce qu’il y avait à dire sur le pacte Royal.
Pour conclure sans oublier le concurrent de Royal, je vous recommande la lecture d’un texte de l’historien Gérard Noiriel, « Les usages de l'histoire dans le discours public de Nicolas Sarkozy », dans lequel il analyse les références de Sarkozy à Jean Jaurès et Léon Blum ainsi que son attaque contre le « communautarisme historique », dont Noiriel signale qu’il s’agit d’un « nouveau concept », dont on ne sait pas ce qu’il recouvre. À lire sur
http://cvuh.free.fr/articles/noiriel.usages.sarkozy.html , un site très intéressant géré par le Comité de Vigilance face aux Usages publics de l'Histoire, créé en juin 2005 par plusieurs historiens, qui ont condamné notamment l’adoption de la loi sur les « aspects positifs » de la colonisation. Refusant que « l'histoire soit livrée en pâture aux entrepreneurs de mémoire », ces historiens disent en avoir assez « d'être constamment sommés de dresser des bilans sur les aspects « positifs » ou « négatifs » de l'histoire. Nous refusons d'être utilisés afin d'arbitrer les polémiques sur les « vraies » victimes des atrocités du passé. Ces discours ne tiennent compte ni de la complexité des processus historiques, ni du rôle réel qu'ont joué les acteurs, ni des enjeux de pouvoir du moment. Au bout du compte, les citoyens qui s'interrogent sur des problèmes qui les ont parfois (eux ou leur famille) directement affectés, sont privés des outils qui leur permettraient de les comprendre. »

Bonne semaine, quand même !
Que la Force de l’esprit soit avec vous !

lundi 5 février 2007

N° 23 – Le philosophe du cœur déclare son choix

Dans un étonnant article paru dans Le Monde du 30 janvier 2007, André Glucksmann annonce et explique pourquoi il « choisit Nicolas Sarkozy ». Alors que Bernard-Henri Lévy se tait et que Finkielkraut se tâte encore, voici donc l’un des trois mousquetaires de la « Nouvelle Philosophie » embarqué aux côtés du nain magyar, et en bonne compagnie : Johnny Halliday, Max Gallo et Doc Gynéco.
Glucksmann précise : « Jamais au cours d'une vie longue et pleine d'engagements, je n'ai pris publiquement parti pour quelque candidat, sauf au deuxième tour de mai 2002. Fils de juifs autrichiens qui combattirent les nazis en France, ce pays est mon choix et la gauche ma famille d'origine. C'est pour elle que, depuis quarante ans, je ferraille contre ses pétrifications idéologiques (soutien à Soljenitsyne, aux dissidents antitotalitaires de l'Est, critique des oeillères marxistes). »
Glucksmann explique qu’il a « un temps rêvé d'une candidature de Bernard Kouchner, restituant à la gauche française une dimension internationale perdue. Veto d'un PS effrayé par l'audace de l'électron libre. J'aurais aimé un ticket Sarkozy-Kouchner. » Et il ajoute : « En prenant position pour le premier, je vais perdre des amis. Ma décision, faite de douleurs anciennes et de perspectives nouvelles, est réfléchie. »
À en croire André Glucksmann, Sarkozy, dans ses discours électoraux, renoue avec les traditions de la « France du cœur », celle de Victor Hugo, Jean Jaurès, Georges Mandel, Jacques Chaban-Delmas, et Albert Camus (drôle de mélange !)
« La rupture à droite (représentée par Sarkozy, AEK) embrasse la politique internationale non moins que l'intérieure. Curieux avatar du "gaullisme", le fétichisme conservateur cultive le primat des États, quoi qu'ils fassent. Cette Realpolitik sacrifie notre histoire et notre rayonnement aux intérêts à courte vue de ventes d'armes et de contrats pétroliers. A la chute du mur de Berlin, nos dirigeants firent la moue, puis soutinrent leurs alliés génocidaires du Rwanda et décorèrent Vladimir Poutine de la grand-croix de la Légion d'honneur. Curieuse évolution qui fit de la patrie des droits de l'homme l'apôtre des ordres établis.
« Une France généreuse pourtant n'oubliait pas les opprimés : boat people vietnamiens fuyant le communisme, syndicalistes embastillés de Solidarnosc, "folles de Mai" sous le fascisme argentin, Algériennes en butte au terrorisme, torturés chiliens, dissidents russes, Bosniaques, Kosovars, Tchétchènes... Dans nul autre pays, on ne parla autant de ces monstruosités et de ces résistances. La possibilité de s'ouvrir fraternellement au monde est inscrite dans notre patrimoine culturel, voyez Montaigne, voyez Hugo, voyez les French doctors et leurs émules. Aucune fatalité ne condamne nos compatriotes à bouder tous azimuts, à vitupérer le "plombier polonais", à se couper du monde.
« Nicolas Sarkozy est le seul candidat aujourd'hui à s'être engagé dans le sillage de cette France du coeur. Il dénonce le martyre des infirmières bulgares condamnées à mort en Libye, les massacres au Darfour et l'assassinat des journalistes, puis énonce une règle de gouvernance fort éloignée de celle de Jacques Chirac. "Je ne crois pas à ce qu'on appelle la Realpolitik qui fait renoncer à ses valeurs sans gagner un seul contrat. Je n'accepte pas ce qui se passe en Tchétchénie, parce que 250 000 Tchétchènes morts ou persécutés ce n'est pas un détail de l'histoire du monde. Parce que le général de Gaulle a voulu la liberté pour tous les peuples et la liberté, ça vaut aussi pour eux... Le silence est complice et je ne veux être complice d'aucune dictature", a déclaré le président de l'UMP le 14 janvier. »Mais notre philosophe n’est pas un béni-oui-oui. Conscient qu’ « en prenant position pour » Sarkozy, il va perdre des amis », il ajoute : « Ma décision, faite de douleurs anciennes et de perspectives nouvelles, est réfléchie. Je ne partage pas toutes les options du candidat UMP. Exemple : les "sans-papiers", je souhaite une régularisation plus ample, fondée sur des critères d'humanité mieux respectés. Voter n'est pas entrer en religion, c'est opter pour le projet le plus proche de ses convictions. »Et voici la chute magnifique de cette profession de foi : » L'humanisme du XXIe siècle s'abstient d'imposer une idée parfaite de l'homme. Garde-fou contre l'inhumain, en nous et autour de nous, il ne peut se satisfaire de déplorer les victimes et de recenser morts ou laissés-pour-compte. Récusant l'indifférence coupable et la manie doctrinaire, l'humaniste s'obstine - lutte sans cesse recommencée - à "faire barrage à la folie des hommes en refusant de se laisser emporter par elle" (discours du 14 janvier). Le "murmure des âmes innocentes" que Sarkozy entendit à Yad Vashem lui dicte cette définition de la politique. Depuis toujours, c'est ce murmure qui porte ma philosophie. »
Élève de Raymond Aron, André Glucksmann n’en finira pas de nous étonner. Ce qui semble le motiver avant tout, c’est la honte. La honte d’avoir été maoïste. « Mon engagement «maoïste» à la française, si bref fût-il, me fait encore monter le rouge au front », déclarait-il au Figaro en septembre dernier (
http://www.lefigaro.fr/debats/20060909.FIG000000546_andre_glucksmann_mes_annees_maoistes_me_font_toujours_honte.html ). Cet engagement maoïste connut son apogée en 1972, quand notre philosophe – c’était avant qu’il découvre le Goulag grâce à Soljenitsyne – commit avec ses camarades maoïstes de la Gauche Prolétarienne un numéro spécial de la revue fondée par Jean-Paul Sartre, Les Temps Modernes , intitulé « Nouveau fascisme, nouvelle démocratie », où l’on expliquait que la France de Pompidou vivait sous un « nouveau fascisme » auquel il fallait opposer une « nouvelle Résistance ».
Mais c’était il y a trente-cinq ans et il y a donc prescription. Depuis lors, Glucksmann s’est refait une virginité impériale et est l’un des plus fervents défenseurs de la « guerre contre le terrorisme » menée par George Bush, en Iraq et dans le monde*. Tout en cultivant soigneusement sa petite différence : curieusement, il exempte les Tchétchènes de l’accusation infamante d’être des terroristes et dit soutenir leur combat contre les occupants russes. Et c’est semble-t-il les phrases de Sarkozy sur les « 250 000 Tchétchènes morts » qui ont emporté l’adhésion de notre philosophe. Lequel semble avoir oublié que les phrases de discours électoraux ne portent aucunement à conséquence.
Le nain magyar a donc maintenant dans ses supporters un chanteur de rock vieilli et exilé, un rappeur mou, un historien de gauche et un philosophe du cœur. Il ne lui reste plus qu’à trouver une danseuse-étoile, un chanteur d’opéra et un grand cuisinier.

* Dans un réponse à Glucksmann, parue dans Le Monde du 6 février, l’écrivain Jean-Marie Laclavetine écrit : « Votre jeunesse s'est vouée à d'horribles idoles, cependant vos égarements passés ne vous empêchent pas de prétendre continuer à éduquer le peuple. Comme hier, il vous faut un puissant à aduler, un méchant à honnir, et des oreilles complaisantes pour y déverser vos vastes théories. La gauche française s'est misérablement "repliée sur l'Hexagone". Que n'a-t-elle pris exemple sur vous, qui arpentez d'un pas martial la planète en flammes ! On vous a vu, avec quelques-uns de vos camarades, parader devant les chars américains qui partaient écrabouiller une armée de gamins irakiens munis de pétoires, pour la plus grande gloire de l'Occident chrétien, dont vous êtes devenu un apôtre ardent (et pour le plus grand bénéfice des islamistes qui sont votre prochaine cible. Tremble, Oussama !). »
Bonne semaine, quand même !

Que la Force de l’esprit soit avec vous !