Mortadella, O Magro et Baffo sont les nouveaux personnages de cette incroyable Commedia dell’Arte qu’est la politique italienne.
Mortadella, c’est Romano Prodi, aussi surnommé « Il Professore ». La mortadella, c’est le célèbre saucisson rose et blanc de pur porc de l’Émilie-Romagne, dont est originaire le Premier ministre italien.
Baffo, c’est Massimo d’Alema, ancien communiste, présentement social-démocrate bon teint, vice-président de l’Internationale socialiste, ancien et sans doute futur Premier ministre.
Giorgio o Magro, c’est Giorgio Napolitano, 81 ans, onzième président de la République italienne depuis octobre dernier. Son surnom lui fut donné par ses camarades communistes à Naples, sa ville natale, où il fit une carrière d’apparatchik du parti de Togliatti pendant 45 ans. Ses camarades l’avaient surnommé ainsi pour le distinguer de Giorgio o Chiatto, Georges le Gras, autrement dit Giorgio Amendola, leader de l’aile droite, réformiste du PCI, qui fut le maître à penser de Napolitano et avec lequel celui-ci finit par se brouiller à propos de l’occupation soviétique de l’Afghanistan en 1979. Amendola était pour, Napolitano était contre.
Et c’est ce même Afghanistan qui a été à l’origine de la démission du 59ème gouvernement italien depuis 1945. 60 gouvernements en 60 ans, c’est un record en Europe et dans le monde. Autres records : le nombre absolument incroyable de ministres, vice-ministres, secrétaires d’État et sous-secrétaires d’État du gouvernement Prodi. J’ai renoncé à essayer de les compter, mais un ami m’assure qu’ils sont…109 ! Un vrai orchestre symphonique. Ou plutôt cacophonique. C’est que ces messieurs-dames appartiennent à neuf formations politiques qui constituent un ensemble très hétérogène, dont la coordination a de quoi donner des migraines. La coalition dirigée par Prodi est un véritable supermarché, avec un côté jardin botanique. Qu’on en juge plutôt :
Il y a d’abord l’Olivier, qui regroupe les démocrates socialistes de Massimo d’Alema, anciens communiste devenus sociaux-démocrates et quelques comparses, lesquels sont en train de préparer leur transformation en « grand » Parti démocrate. À l’intérieur de l’Olivier, il y a le Chêne et la rose, emblèmes de ces démocrates socialistes. Puis il y la Marguerite, de Francesco Rutelli, parti frère de l’UDF de François Bayrou, une sorte de sociaux-démocrates-chrétiens. Ensuite, il y a la Rose au poing, regroupement radical-socialiste. Enfin, il y a le Tournesol, autrement dit les Verts. À ces noms de plantes s’ajoutent des noms poétiques comme « l’Italie du milieu » ou « l’Italie des valeurs ». Bref, la coalition est une famille nombreuse, puisqu’elle regroupe pas moins de 12 partis ou formations politiques, dont certains sont des groupuscules qui pourraient tenir congrès dans une cabine téléphonique. Autre record italien : c’est le pays qui a le seul gouvernement comptant à la fois : 1 parti ex-communiste (le PDS) et 2 partis communistes maintenus (le Parti de la refondation communiste et le Parti des communistes italiens), trois partis sociaux-démocrates, trois partis démocrates-chrétiens, 1 parti libéral, 1 parti écologiste et 1 parti de consommateurs (les « consommateurs unis »). Il ne manque à cet inventaire qu’un parti de cyclistes et un parti végétarien, mais cela ne saurait tarder, puisque le Sieur Mortadella a promis d’élargir sa coalition.
Camion de propagande électorale : « Romano Prodi président : le sérieux au gouvernement » (sic)
C’est que le Sieur Mortadella est champion dans une discipline qui devrait devenir olympique : le Grand Écart. La seule chose qui l’intéresse, c’est de rester au gouvernement, à n’importe quel prix et c’est bien cela qui semble souder la coalition : ils s’accrochent tous à leurs fauteuils et strapontins. Certains d’entre eux ont même siégé auparavant dans la coalition « La Maison des libertés » de l’inénarrable Sieur Berluska (Berlusconi) et se ont ralliés sans états d’âme à l’Union de Prodi.
Mais que s’est-il donc passé le 21 février ?
La journée a commencé au Sénat à 9 heures. Le ministre des Affaires étrangères Massimo d’Alema y a présenté un exposé de politique étrangère qui a ensuite été soumis au vote. Les sénateurs sont 319. 318 étaient présents. La majorité requise était de 160. Dans les votes au Sénat, une abstention vaut comme un vote contre. 4 sénateurs de la majorité se sont abstenus : Fernando Rossi, un indépendant de l’Union, Franco Turigliatto, un refondateur communiste, Bulgarelli, un vert et Follini, un démocrate-chrétien. Le gouvernement n’a donc obtenu que 158 voix, ce qui équivalait à un vote de défiance. Les deux points sur lesquels a eu lieu le clash étaient la poursuite de la présence militaire italienne en Afghanistan et l’extension de la base militaire aérienne US Dal Molin, près de Vicenza, dans le Nord-Est de l’Italie. L’Italie est un porte-avions de l’armée US depuis 1945 et ce ne sont pas les anciens communistes du gouvernement Prodi qui entendent remettre en cause la « vieille amitié » avec l’Oncle Sam. Malheureusement pour Prodi et d’Alema, le samedi 17 février, une manifestation monstre de plus de 100 000 personnes a eu lieu à Vicenza contre le projet de base militaire et un certain nombre d’élus communistes et verts y ont apporté leur soutien. Le modèle du mouvement civique contre la base est l’autre grand mouvement contestataire qui agite la Vallée de Susa dans le Piémont, contre le projet de TGV Turin-Lyon. L’ensemble de la population et la quasi-totalité des élus sont entrés en résistance contre ce projet qui menace de défigurer leur vallée. Pour corser les choses, quelque jours avant la manifestation de Vicenza, la police a arrêté plusieurs dizaines de syndicalistes, accusés de vouloir reconstituer les Brigades rouges, ce qui a permis à la presse de chauffer l’ambiance à la veille de la manif, en prophétisant des désordres apocalyptiques, lesquels n’ont évidemment pas eu lieu, tout s’étant déroulé dans la plus grande sérénité.
Dans une Europe où le clivage gauche-droite est totalement brouillé au niveau des représentations politiciennes, le gouvernement Prodi 2bis ne sera pas plus de gauche que le 2. Lequel a adopté une augmentation du budget militaire de 13%, la plus importante dans l’historie de l’Italie d’après-guerre. Mais que pouvait-on attendre d’autre d’un gouvernement dirigé par l’auteur d’un livre intitulé « Le capitalisme bien tempéré » ?
Bonne semaine, quand même !
Que la Force de l’esprit soit avec vous
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