lundi 20 novembre 2006

N° 16 – Marie-Chantal et le Nain, un conte du 21ème siècle

Année 2227. Ayman El Kayman, vieillard âgé de 300 ans, a réuni autour de lui, comme chaque semaine, sa nombreuses progéniture, au bord du marigot où il vit et transmet aux petits caïmanaux son savoir séculaire, sous forme de petits contes pédagogiques.
C’était il y a 220 ans, dans un pays aujourd’hui disparu qui s’appelait la Rance. Les Ranciens, les habitants de ce pays, pratiquaient alors un rite étrange qui allait bientôt disparaître, mais cela, ils ne le savaient pas encore. Ce rite s’appelait « élections ». Rien à voir avec l’électricité, ni avec Sion, non, non. Il s’agissait de glisser dans des boîtes cubiques appelées urnes une enveloppe fermée contenant un papier distribué gratuitement – à cette époque, le papier était encore gratuit. Sur ce papier était marqué un nom. À la fin de la cérémonie, qui avait lieu dans tout le pays et jusque dans ses plus lointaines dépendances, on ramassait et on ouvrait toutes les enveloppes, on comptait les papiers et les « résultats » étaient proclamés. Ceux qui avaient eu le plus de petits papiers étaient, comme disait alors, « élus » pour « représenter le peuple ». C’est-à-dire qu’ils devenaient pour une période déterminée des sortes de rois, princes, satrapes, gouverneurs et caïds. Ils touchaient pour cela beaucoup d’autres petits papiers, qu’on appelait de l’argent et pouvaient mener une belle vie, faite de bonne chère, de grosses voitures –c’est ainsi qu’on appelait de drôles de cercueils ambulants métalliques qui sentaient mauvais – et de plaisirs divers. En échange, ils écrivaient ou appliquaient des « lois », des « décrets », des « réglementations », par lesquelles la vie des gens était organisée et décidée dans ses moindres détails. Ce système a fini par s’effondre et disparaître en 2101, lorsque la NAM (Nouvelle Alliance Mondiale) a instauré le NOM (Nouvel Ordre Mondial), qui a vu disparaître tous les « États », toutes les « armées » et tous les » gouvernements », remplacés par des « escargots », qui sont les structures d’autogestion locale adoptées désormais par toute l’humanité et même par les habitants d’autres planètes de la Galaxie.
Mais en 2007, on n’en était pas encore là.
Ce qu’on appelait donc les élections, c’était une sorte de course d’obstacles. Mais tout le monde ne pouvait pas y participer. Il fallait d’abord être « citoyen rancien ». Ensuite, il fallait avoir un casier judicaire plus ou moins vierge. Et puis, il fallait avoir l’investiture d’un « parti ». Ah, les « partis », mes enfants, vous vous demandez ce que ça pouvait bien être. Essayons d’expliquer. Chaque prince, chaque satrape, chaque caïd en avait un. Chacun avait une couleur, un symbole, un programme, bref était un petit « État » à lui tout seul. Tous ces « partis » se faisaient la guerre entre eux, et à l’intérieur de chaque « parti », les satrapes et les aspirants satrapes se faisaient la guerre entre eux, chacun ayant son « état-major », ses « troupes » et ses « conseillers ».
Donc, vers la fin de l’an de grâce 2006, la Rance sembla prise de folie. Les deux principaux partis devaient choisir chacun son candidat. D’un côté, du côté droit, l’Union des Mollassons Pantouflards semblait décidée à choisir un Nain magyar qui se prenait pour la réincarnation de Napoleone Buonaparte, un aventurier corse qui s’était proclamé Empereur des Ranciens 200 ans plus tôt. De l’autre côté, du côté gauche, le Parti sioniste, avait procédé à un premier « vote » et avait choisi, entre trois candidats une femme, Marie-Chantal, surnommée « Royale Canine » par les uns –ceux qu’elle ne faisait pas fantasmer- et « la Madone des sleepings » par les autres –ceux qu’elle faisait, aussi incroyable que cela puisse paraître , fantasmer.
Cette femme avait choisi pour triompher la méthode dite post-moderne de faire de la « politique ». Elle faisait interroger tous les jours des citoyens par un institut de « sondage » dirigé par une amie d’enfance et elle adaptait ses discours à ce que répondaient la majorité des sondés. Tout cela ne se passait plus dans des salles où les gens étaient réunis physiquement, comme cela avait été le cas auparavant, mais uniquement dans le monde virtuel, « inter-nette ». À l’époque, les Ranciens s’était rués en masse vers ce nouveau moyen de communication, un mélange de télévision, de machine à écrire et de téléphone, qui permettait , comme on disait de « communiquer » sans se voir ni s’entendre.
Donc, en gros, Marie-Chantal avait inventé le « do it yourself » en politique. Finis les théories, les programmes, les objectifs pour lesquels il s’agissait de convaincre les gens. Non, il suffisait désormais de sourire et de faire des phrases correspondant aux vœux exprimés par au moins 51% des futurs électeurs sondés. Ce n’était finalement pas si idiot que cela, puisque Marie-Chantal avait bien compris une chose : la « présidence de la république » à laquelle elle était candidate n’était qu’un poste honorifique, dont le tenant n’avait aucun pouvoir, ne faisant qu’exécuter les ordres des vrais maîtres du monde. Ces messieurs étaient organisés dans des sociétés secrètes préférant l’ombre à la luimière et qui avaient de drôles de noms : Commission trilatérale, Club Bilderberg, Loge Alpina, Bnai Brith, Grand Orient, Grande Loge etc.. Et ils avaient créé des organes de contrôle des activités de toute l’humanité, qui avaient pour nom Banque mondiale et Fonds Monétaire International. Tout ce beau monde comptait au bas mot 6 000 personnes, qui décidaient au jour le jour du sort de 6 milliards d’humains.
Face à Marie-Chantal, qui jouait à la petite-bête-qui-monte-qui-monte dans les sondages, le Nain s’agitait comme un désespéré. Par ses déclarations de guerre contre les habitants de ce qu’on appelait les « banlieues » - des endroits où les pauvres étaient bannis et parqués -, il avait provoqué des émeutes incendiaires. Par ses gestes et déclarations spectaculaires d’allégeance aux sociétés secrètes mentionnées plus haut, il s‘était mis à dos des millions d’électeurs. Sans parler évidemment des expulsions massives d’immigrés « non choisis »
Il faut dire qu’à l’époque, en Rance, les gens étaient classés selon des catégories qui nous paraissent incompréhensibles aujourd’hui : les uns étaient désignés comme « citoyens » et divisés en « sur-citoyens » et « sous-citoyens », les autres comme « étrangers » et divisés en « étrangers désirés » et « étrangers non-désirés » , les uns comme « blancs », les autres comme « noirs », les uns comme « juifs », les autres comme « musulmans » et divisés en « modérés » et « intégristes », les autres encore comme « laïques », ce qui n’était qu’une autre manière de dire « chrétiens ». Et nos candidats se disputaient les faveurs de ces diverses « catégories », attaquant les uns, cajolant les autres.
Ainsi, le Nain, après avoir choisi de s’appuyer sur les juifs, se rendant compte qu’il allait perdre les voix des musulmans, s’empressait de tenter d’ajuster le tir, en allant vite rendre visite à un autre Nain, de l’autre côté de la Méditerranée, le lamentable Camouflika, président de l’Algéristan. Il espérait ainsi rallier les suffrages des « citoyens » ranciens originaires de ce pays, qui avait été autrefois une dépendance de la Rance. Du coup, un nombre sans cesse croissant de Ranciens avait les cheveux qui se dressaient sur leur tête à la simple idée de se retrouver dirigés par ce nanoprésident et commençaient à lorgner d’un œil connaisseur la silhouette « élancé » de la Madone poitevine, qu’un de ses admirateurs, ancien maoïste devenu patriote français à l’aube du troisième âge, n’appelait rien moins que « la femme-liane » (« Toi Tarzan, moi Liane »).
Pendant ce temps, Marie-Chantal proclamait dans un discours tonitruant tenu pour saluer sa victoire aux éliminatoires du Parti sioniste, qu’elle parlait au nom des « femmes violées » et…des « femmes voilées ». D’un coup, elle s’aliénait les voix de celles des citoyennes qui, par conviction religieuse ou par choix esthétique, avaient choisi de se voiler les cheveux et n’appréciaient évidemment pas du tout de se voir comparées à des femmes violées. Il faut dire que Marie-Chantal était entourée et conseillée par deux drôles de zozos, Juju dit « Jules Moch » et Dada dit « Soupline », qui avaient de leurs origines trotskystes gardé l’habitude des magouilles, complots et autres coups bas. Ils se rêvaient déjà en ministres, les deux ex-révolutionnaires d’avant-garde, mais on n’en était pas encore là et la partie était loin d’être gagnée, à 150 jours de l’élection…
La suite à la semaine prochaine et que celle-ci soit bonne, quand même !
Que la Force de l’esprit soit avec vous !
Ayman El Kayman
20 novembre 2006


Notes à l’usage des habitants de pays lointains qui ne comprendraient pas toutes les allusions de l’auteur :
- Marie-Chantal est un personnage d'histoires drôles françaises des années 60, prototype de l'idiote de bonne famille, gentille et bien intentionnée. Exemple d'histoire drôle : Marie-Chantal voit un clochard qui mange de l'herbe dans le fossé le long de la route. Elle s'arrête et dit :"Mon brave, que faites-vous là ?", "Je mange, madame, j'ai faim". "Mais enfin, venez donc manger l'herbe de mon jardin!". Marie-Chantal contre le Docteur Kha est une parodie de film d'espionnage de Claude Chabrol (1965), interprétée par la très belle Marie Laforêt, qui, hélas, devint plus tard fasciste.
- Il faut aussi savoir que le prénom complet de Ségolène Royal est Marie-Ségolène. Et poitevine parce qu'elle est présidente de la région Poitou-Charentes.
- La Madone des Sleepings, un roman de Maurice Dekobra, fut un best-seller en 1925. Il raconte les aventures d'une aristocrate fantasque : « Elle est veuve, ravissante, ruinée et reçoit environ sept cent trente invitations à dîner chaque année. Elle danse nue dans les œuvres de bienfaisance et ne cesse de voyager. On la surnomme La Madone des Sleepings. »

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