mardi 11 novembre 2008

N° 88 - Qu’est-ce qu’on fête ? Qu’est-ce qu’on commémore ?

Le slogan de l’ère Sarkozy, c’est sans aucun doute « Modernisons, modernisons, il en restera toujours quelque chose ». Ainsi, Nicolas a confié une mission de la plus haute importance à une commission d’historiens et de militaires : réfléchir à une modernisation des commémorations nationales.
L’affaire a éclaté à la veille du 11 novembre, où l’on commémore la TGB* de 14-18.
André Kaspi, l’éminent historien qui préside cette commission, remet ce mercredi 12 novembre son rapport, dans lequel il préconise de diminuer le nombre de commémorations.
Interviewé par Claire Servajean sur France-Inter le 10 novembre, il déclare :
"Les commémorations publiques ou nationales sont trop nombreuses. Elles atteignent aujourd’hui le nombre de 12, engendrant une désaffectation et une incompréhension de la part d’une très grande majorité, un affaiblissement de la mémoire collective, et des particularismes qui vont à l’encontre de l’unité nationale. Alors, s’agissant des dates, ce que je propose, […], c’est que 3 dates devraient faire l’objet d’une commémoration nationale : le 11 novembre pour commémorer les morts du passé et du présent, le 8 mai pour rappeler la victoire sur le nazisme et la barbarie, et le 14 juillet qui exalte les valeurs de la révolution nationale, le tout étant intégré dans le processus de la construction européenne. Mais, je n’ai jamais demandé à ce que d’autres dates ou commémorations soient supprimées. […] Les autres dates deviendraient des commémorations locales ou régionales revêtant de temps à autre un aspect exceptionnel comme ce qui le cas en 2004 pour les débarquements alliés de 1944. […]”.
Comme le fait remarquer mon collègue satirique wissembourgeois pumpernickel, « La Révolution nationale (RN) est l'idéologie officielle du régime de l’État français mis en place par Monsieur P. Pétain en juillet 1940. Ses principes sont une adaptation des idées de la droite nationaliste de l'époque à un régime de gouvernement « de crise » : confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs, rejet du parlementarisme et du multipartisme, corporatisme stigmatisation des responsables supposés de la défaite : le Troisième République, le Front populaire, les communistes, les juifs, les francs-maçons, tous considérés comme des traîtres à la Patrie, antisémitisme d'État, organicisme : chaque classe sociale étant censée être solidaire des autres afin de maintenir l'ordre socialapologie des valeurs traditionnelles : la devise de l’État français est Travail, Famille, Patrie, culte de la personnalité. Je ne savais pas que c'était tout cela que je fêtais le 14 juillet, vous non plus sans doute. »
C’était notre rubrique : lapsus révélateurs.
Intrigué par cette affaire, je me suis renseigné. Et j’ai enfin trouvé la liste de ces fameuses douze journées de commémoration nationale. Je vous la livre, car je crois que vous êtes nombreux à ne pas la connaître par cœur :
> 27 janvier, journée du souvenir de l'holocauste et de la prévention des crimes contre l'humanité.
> Dernier dimanche d'avril, journée nationale de la Déportation.
> 8 mai, célébration de l'armistice de 1945.
> 10 mai, commémoration de l'abolition de l'esclavage.
> 8 juin, hommage aux morts de la guerre d'Indochine.
> 17 juin, hommage à Jean Moulin.
> 18 juin, l'appel du général de Gaulle
> 14 juillet, fête nationale.
> 16 juillet, hommage aux victimes des persécutions racistes et antisémites de l'État français et hommage aux Justes de France.
> 25 septembre, hommage aux harkis.
> 22 octobre, hommage à Guy Môcquet et à ses compagnons fusillés.
> 11 novembre, armistice de 1918.
> 5 décembre, hommage aux morts de la guerre d'Algérie, des combats du Maroc et de Tunisie.
Sur ces douze jours, seuls les 3 que Kaspi propose de garder sont fériés : le 8 Mai, le 14 Juillet et le 11 Novembre.
J’ai deux propositions alternatives :
> réduire le nombre de jours à la fois fériés et commémoratifs à un seul : le 6 décembre, qu’on appellerait la JNT, Journée Nationale de la Tristesse, où chacun serait libre de pleurer sur ce qui lui fait le plus de peine. Pourquoi le 6 décembre ? Mais voyons, c’est la Saint-Nicolas ! Et on pourrait garder le 14 Juillet comme JNJ, Journée nationale de la joie, où on fêterait la prise de la vieille Bastille et on conjurerait les tentatives d’en construire une nouvelle. Cela conviendrait, me semble-t-il, tout à fait au rythme bipolaire (maniaco-dépressif) du Président Sarkozy.
> encore mieux, choisir pour fêter la JNT le…29 février. Comme il n’y en a qu’un tous les quatre ans, ce serait la mesure de modernisation la plus sarkozyennement révolutionnaire qu’on puisse imaginer.
Mais j’aimerais soulever un autre problème, celui des jours fériés. En France, il y en a aussi 12. Ce sont ceux-ci :
Le Jour de l'An 1er Janvier
Le lundi de Pâques
L’Ascension
La Fête du Travail 1er Mai
La Fête de la Victoire de 1945 le 8 Mai
Le Lundi de Pentecôte
Le 14 Juillet, Fête Nationale
L’Assomption 15 Août
La Toussaint 1er Novembre
La Fête de l'Armistice 11 Novembre
Le Jour de Noël. 25 Décembre
Il n’y a rien qui vous frappe ? Eh bien, 7 de ces dates n’ont rien de laïc, ce sont des fêtes religieuses chrétiennes.
Moi, si j’étais un Français laïc, ça me gênerait.
Pourquoi un bouddhiste, un hindouiste, un musulman, un juif, un adepte du vaudou, un zoroastrien, un animiste ou tout simplement un athée devrait-il fêter la naissance, la mort et la résurrection du Christ ou sa montée au ciel, ainsi que celle de sa maman ?
Si la France était une république vraiment laïque, elle conserverait comme jours fériés nationaux le 1er Mai, le 8 Mai, le 14 juillet et le 11 Novembre et laisserait 8 autres journées en option, à prendre selon ses convictions religieuses ou philosophiques.
Libre à chacun de prendre des congés pour le Nouvel An de son choix, juif, musulman, bouddhiste ou zoroastrien, et de commémorer les événements qui comptent pour lui ou elle, que ce soit la mort d’Emiliano Zapata (210 Avril 1919), du Mahatma Gandhi (30 Janvier 1948), de Martin Luther King (4 Avril 1968), de Malcolm X (21 Février 1965), de Che Guevara (8 Octobre 1967) ou de Thomas Sankara (15 Octobre 1987), le génocide arménien (24 Avril 1915), cambodgien (17 Avril 1975) ou rwandais (7 Avril 1994) [comme quoi les mois d’avril sont meurtriers].
Les commerçants afficheraient la liste de leurs jours fériés et les salariés les indiqueraient à leurs employeurs.
Et voilà. Aussi simple que ça.
Ayman El Kayman, président honoraire de la MELRJFF (Mission d’étude de la laïcisation des jours fériés en France)
*TGB : Très Grande Boucherie (10 millions de morts, dont 300 000 rien qu’à Verdun, ce qui, rétrospectivement, est bien peu par rapport aux 60 millions de la TTGB – Très Très Grande Boucherie – de 1939-1945)

Le 29 décembre 1890, 300 hommes, femmes et enfants du peuple Lakota Miniconju furent massacrés avec 4 mitrailleuses Hotchkiss par les hommes du 7ème Régiment de Cavalerie de l’US Army, à Wounded Knee, au Dakota du Sud. Pourquoi ne pas commémorer ce haut fait de civilisation, par exemple ? Qu’en pense Monsieur Kaspi, spécialiste des USA ?

Bonne semaine, quand même !
Que la Force de l’esprit soit avec vous !
...et à mardi prochain !