mardi 4 janvier 2011

N° 135 - Les délires du Petit Monsieur Moix-Moix-Moix : « la transparence est toujours fasciste », c’est le secret qui est démocratique…

« Cher Michel, tu as inventé un ton, une langue, une vision. Ceux qui te trouvent sans style n’ont pas compris que, comme le clamait Péguy, le style c’est l’homme. Tu as trouvé l’instrument, par cette langue scientifique et chargée d’humour (ceci expliquant d’ailleurs cela) la manière la plus intime de décrypter un monde qui te fait tellement souffrir que tu t’arranges, au milieu de lui, pour y être heureux comme on se suicide. Œuvre au bord du gouffre, œuvre de gouffre, profonde, haute, vertigineuse aussi. Unique. Tu es unique, oui ; et seul, par conséquent. Tout seul. Et je te quitterai, comme j’ai commencé, par une phrase de Valéry qui résume tout. « Chaque auteur contient quelque chose que je n’eusse jamais voulu écrire. Et moi-même. »
Ces phrases inoubliables adressées au Prix Goncourt Michel Houellebeurk sont d’un certain Yann Moix, dont je viens à peine de découvrir l’existence. Je ne sais rien de ce type, si ce n’est qu’il fait partie de la bande à BHL, puisque son blog est hébergé par le site web de La Règle du Jeu, la revue du bellâtre millionnaire du Boulevard Saint-Germain. Et ce Yann Moix a publié le 10 décembre un article réellement halluciné et hallucinant, que je vous propose de lire avec calme et attention. Mes commentaires figurent à la suite de l’article.

Wikileaks : la transparence est toujours fasciste
Yann Moix
http://laregledujeu.org/moix/2010/12/10/461/wikileaks-la-transparence-est-toujours-fasciste 

“Wikileaks n’appartient pas à la démocratie – mais à la dictature. A force d’étudier, d’examiner, puis finalement d’incidemment remanier, d’ajuster, de réajuster la notion de « démocratie », on en oublie presque que le concept de « dictature » évolue, lui aussi. L’affaire des dossiers diplomatiques révélés ouvre la voie d’une dictature toute neuve, d’une dictature en quelque sorte contenue dans la démocratie. D’une dictature parfaitement consubstantielle à la démocratie. Il en va de même de Facebook, soyons lucides. Le rêve qu’entretenait la Stasi, dans l’Allemagne de l’Est de jadis, ou les services secrets roumains, russes, chinois, a été parfaitement réalisé par Facebook puisque Facebook est l’endroit, le lieu, le « site » où tout le monde se livre – se livre à tous les sens du terme. Se confie, d’une part ; et d’autre part, se donne. Comme on se donne à la police. Mais la magie est là : tout le monde se livre et, pourtant, on n’a rien demandé à personne. L’Etat n’a rien demandé ; les Etats n’ont (strictement) rien exigé. Mais les gens se livrent, se donnent : révèlent sur eux leurs misérables, innombrables, infinis tas de secrets. La seule chose à laquelle les dictatures n’avaient pas pensé pour obtenir le maximum de renseignements sur les gens était donc celui-ci : la liberté. Chacun, sans y être obligé, installe sur son « mur » (ironie de l’appellation quand on se souvient du « Mur » de Berlin) des détails sur sa grossesse, ses vacances à Etretat, le goût de son œuf à la coque. La Stasi était contenue en chacun de nous, il suffisait de s’en aviser.
Nous noterons donc, immédiatement, que la démocratie n’a rien à voir, n’a rien à faire surtout, avec la transparence. La transparence est une obsession totalitaire. Elle est le paradis, l’horizon des régimes fascistes, des dictatures. Le mot de « totalitarisme » d’ailleurs, exprime parfaitement cette idée : tout est égal à tout, tout doit être su de tous, tout doit être connu tout le temps. C’est précisément l’idée que des choses (on appelle ça la vie des individus) puissent être retranchées de ce tout (et cesser d’être publiques pour devenir privées) qui rend fous les régimes autoritaires. Il ne faut pas s’étonner que le nazisme soit, dans sa dénomination, emprunt de socialisme (national-socialisme), ni même que le communisme ait été bâti sur une indifférenciation parfaite des existences. Ce qui compte, en dictature, c’est de rendre les êtres indiscernables – la masse prime sur l’individu (comme à l’armée, bien sûr). La condition même de l’indiscernabilité, c’est la transparence. Chacun étant privé de son intimité, de son goût propre, de sa liberté singulière, est génériquement assimilé à son voisin, et ce jusqu’à l’infini, par récurrence. Pour que les hommes, les citoyens, les paysans, les travailleurs, les militaires soient noyés dans cette masse, de façon totalitaire, il faut bel et bien que règne la transparence : on doit voir à travers chacun pour fabriquer la totalité. Si bien que, de la même façon que l’individu doit être transparent face à l’Etat, l’Etat lui-même accepte d’être transparent face à l’individu. Jamais Hitler, par exemple, n’a caché sa politique ; tout était dans Mein Kampf. Jamais Lénine, c’est un fait, n’a caché son programme : c’est par sa clarté et sa publicité qu’il étonne. Que le peuple ne cache rien et qu’on ne cache rien au peuple : voilà l’équation, pure et parfaite, de la dictature. Une transparence de tous les instants ; et qui se résume à l’enfer, car une vie sans mensonges, une vie sans secrets, une vie sans oblations, sans intimité, sans « privacy » comme disent les Anglais, n’est pas une vie supportable. Savoir cacher, momentanément, savoir voiler, pour le bien public, savoir traduire, pour éviter les emportements, savoir doser, c’est l’art et la fonction mêmes de la politique.
Tout cela est contenu dans les philosophies contractuelles des Lumières : la somme des volontés particulières ne forme aucunement la volonté générale. Ce qu’on appelle la volonté générale, dont hérite en démocratie celui qui représente le peuple, implique l’existence de ce tamis, de ce double langage (diplomatique, politique) : j’aliène une part de ma liberté pour que ma liberté soit possible ; autrement dit : j’accepte, pour mon bien qui est lié au bien d’une communauté nationale, de ne pas être en mesure, à titre individuel et privé, de bénéficier de toutes les ressources et informations – ce privilège, je l’ai abandonné (démocratiquement) au Président de la République et à son gouvernement. Je me cache à moi-même des choses par son intermédiaire – parce que j’ai choisi, accepté de le faire ; par ce que j’admets, tacitement, qu’il en fera meilleur usage que moi, que nous tous rassemblés. Et surtout, je suis conscient que dans cette part de secret, de voile, d’opacité, réside une valeur ajoutée (en terme de sécurité, mais aussi de démocratie) que le dévoilement, que la publicité mettraient à mal.
Wikileaks pose donc un problème grave : il rompt le contrat, celui de Rousseau, des Lumières. Il rompt le contrat social. Il est anti-démocratique parce que soudain, un homme, un organisme, un homme-organisme, décide de ne plus jouer le jeu, de quitter la farandole. Sans bénéficier des pouvoirs (ni la légitimité) de ceux qui nous dirigent mais surtout, mais essentiellement nous représentent, il se met en face d’eux, au même niveau, à la même altitude. Ce n’est pas, ce faisant, les Etats qu’il insulte, mais les peuples que ces Etats représentent ; c’est nous tous qui sommes insultés. Insultés dans notre démocratie, dans notre liberté : dans notre consentement. Dans notre refus de cette grande clarté générale proposée par ces régimes qui inventèrent les camps et les goulags.”


Mes commentaires

1.    On se demande ce qu’ont Facebook et Wikileaks en commun. Moi, je ne vois pas. S’il est vrai que Facebook permet à des gens d’étaler leur vie privée, il sert surtout, à ce que j’en sais par ma pratique quotidienne, à faire circuler rapidement des informations politiques et culturelles. Quant à WikiLeaks, il n’a pas, que je sache, révélé des secrets sur la vie privée de qui que ce soit, sauf dans les cas où il s’agit d’aspects de la vie privée de gens ayant du pouvoir qui ont un lien direct avec leur figure publique. Je pense par exemple au compte-rendu par l’ambassadeur US à Tunis Robert F. Godec d’un repas chez le néo-milliardaire Mohamed Sakher El Materi et sa femme Nesrine, fille du président-général Ben Ali. L’ambassadeur décrit la villa du couple, leur manière de vivre, de traiter leurs domestiques, le tigre qu’ils ont dans une cage, les yaourts qu’ils rapportent de Saint-Tropez à bord de leur jet privé. Pour conclure qu’on comprend que beaucoup de Tunisiens ne les aiment pas et même les détestent. La protection de la « privacy » dont se gargarise M. Moix-Moix-Moix s’arrête là où il y a suspicion d’enrichissement illicite et ce soupçon pèse très fortement sur le beau-fils de Ben Ali, dont  le Président-Général envisagerait de faire son successeur dynastique. L’ancien chef de la Section d’intérêts US à La Havane, Michael Parmly a exprimé sa peur que WikiLeaks révèle le contenu de ses très nombreuses conversations avec la blagueuse, pardon, blogueuse “dissidente” Yoani Sánchez ainsi qu’avec d’autres “dissidents” soutenus par Washington. A-t-on vraiment affaire là avec la “vie privée” des gens ? Je ne le crois vraiment pas. En quoi le fait de révéler que, selon l’ambassadrice US à Yaoundé, Omar Bongo a détourné 30 millions d’Euros de la Banque centrale des États d’Afrique centrale et en a reversé une partie à Sarkozy pour financer sa campagne électorale est-il une atteinte à la démocratie ? Franchement, je ne vois pas.

2.    M. Moix-Moix-Moix est apparemment tombé à pieds joints dans le culte de la personnalité de Julian Assange entretenu par les médias : non, WikiLeaks n’est pas un “homme-organisme” (drôle d’expression) mais un projet collectif et participatif à l’époque du tout-numérique, auquel des centaines, sinon des milliers de personnes ont participé  anonymement, une fois que le courageux Bradley Manning eut fourni les documents. Lequel Bradley Manning risque 80 ans de prison. Selon M. Moix-Moix-Moix, le soldat Bradley Manning, révolté par les méthodes terroristes employées par l’armée US en Irak, serait sans doute aussi un adepte du totalitarisme.
La personnalisation de l’affaire WikiLeaks n’est qu’un rideau de fumée entretenu par les appareils de pouvoir et de propagande pour détourner l’attention des vrais contenus des documents diplomatiques rendus accessibles. On peut tirer profit de ces documents pour essayer de mieux comprendre comment fonctionne la machine impériale usaméricaine à l’échelle planétaire sans s’occuper un seul instant de l’individu Julian Assange, sauf que, quand même, la tête de cet homme a été mise à prix, des appels au meurtre ont été lancés publiquement depuis Washington et il court un (faible) risque de finir ses  jours dans un pénitencier US. Donc, toute personne attachée à la démocratie et aux droits humains et civiques devra prendre sa défense plutôt que de l’accuser d’être un nouveau Staline, ce qui semble pour le moins grandguignolesque.

3.    Je ne comprends pas d’où Moix-Moix-Moix a sorti cette histoire que la transparence aurait été une invention des dictatures du XXème siècle. Il a peut-être trouvé cette idée loufoque dans les Œuvres Complètes de son Maître et Gourou BHL ? Je ne sais pas, car je ne les ai pas dans ma bibliothèque, au bord de mon marigot totalitaire.

4.    Je conseille à M. Moix-Moix-Moix de lire Le Contrat Social de JJ Rousseau. Et  surtout qu’il ne voie pas d’attaque personnelle dans ces phrases de Jean-Jacques : « Obéissez aux puissances. Si cela veut dire Cédez à la force, le précepte est bon, mais superflu; je réponds qu’il ne sera jamais violé. Toute puissance vient de Dieu, je l’avoue; mais toute maladie en vient aussi : est-ce à dire qu’il soit défendu d’appeler le médecin? Qu’un brigand me surprenne au coin d’un bois, non seulement il faut par force donner sa bourse; mais, quand je pourrais la soustraire, suis-je en conscience obligé de la donner? Car, enfin, le pistolet qu’il tient est une puissance. Convenons donc que force ne fait pas droit, et qu’on n’est obligé d’obéir qu’aux puissances légitimes. » Rousseau ne répondait pas là M. Moix-Moix-Moix mais à un certain Saint Paul : « Que toute personne soit soumise aux autorités supérieures ; car il n’y a point d’autorité qui ne vienne de Dieu et les autorités qui existent ont été instituées par Dieu. C’est pourquoi celui qui s’oppose à l’autorité résiste à l’ordre que Dieu a établi » (Épître aux Romains, XIII). Bref, le contrat social auquel se réfère M. Moix-Moix-Moix est caduc dès que la puissance publique est considérée comme illégitime par les citoyens. Donc, le secret qu’il invoque comme ressort de la démocratie – c’est d’ailleurs là une nouveauté absolue, dont je n’avais jamais entendu parler jusqu’à présent, encore une lacune dans ma formation -,  sert à masquer le caractère illégitime des actions du pouvoir, il ne peut être question de l’accepter au nom du contrat social.

5.    Je propose de décerner à M. Moix-Moix-Moix le Grand Prix 2010 des Têtes de Veaux en Vinaigrette et Chemise Blanche.

Ayman El Falsafi, apprenti-philosophe totalitaire
Ex-analyste au Departamentul de transparenţă* de la Securitate roumaine (N° AK-47-007)
Ex-analyste à la Durchsichtigkeitsabteilung* de la Stasi (N° KALASCH 000089)
Présentement Honorable Agent Dormant Transparent du Département du Front Uni du Travail de la Chosŏn Minjujuŭi Inmin Konghwaguk (République populaire démocratique de Corée)
*Département de la Transparence

Manifestation devant l'ambassade de Suède d'adeptes du totalitarisme en soutien à Julian Assange, Kiev, Ukraine, 22 décembre 2010. Au premier rang, on reconnaît Natacha, Ivana et Vassilia, célèbres agentes du KGB. À l'arrière-plan, Ivan Popielko, leur officier traitant
Bonne semaine, quand même !
Que la Force de l’esprit soit avec vous !
...et à mardi prochain !

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