lundi 24 septembre 2007

N°47 - Des bonzes, du gaz, BK et beaucoup d’hypocrisie : il pleut sur Rangoon

Le monde entier parle de la Birmanie, où les manifestations d’opposition ont repris depuis la mi-août et ont culminé avec la marche de plus de 100 000 personnes , dont plusieurs milliers de bonzes et de bonzesses, le lundi 24 septembre à Rangoon. Le mouvement démocratique birman a la chance d’être composé de bouddhistes. On ose à peine imaginer comment il serait traité par l’Occident très-chrétien s’il était composé de musulmans (il y a quand même quelques millions de Birmans sur les 53 millions de Birmans). Il bénéficie donc d’une sympathie générale qui va de Bush à Sarkozy en passant par le Dalai Lama et l’ONU. Ainsi, depuis le 19 août 2007 –quand les manifs ont repris en Birmanie, initiées par les bonzes -, la communauté internationale jure ses grands dieux que c’est sûr, elle va faire quelque chose pour ramener la junte militaire birmane à la raison. Alors, on se dit : bravo et on se demande : vont-ils donc décréter un embargo général sur le pétrole birman, sur le bois birman, sur les diamants birmans, sur le tourisme en Birmanie ? Vont-ils envoyer des Casques bleus pour dégager les pinochets birmans ? Détrompez-vous, le seul produit birman boycotté par la communauté internationale est…l’ananas, ce qui ne mange pas de pain (ou plutôt de riz) puisque la junte militaire elle-même en a interdit l’exportation. Et, nous dit-on, la communauté internationale est paralysée par les vetos de la Russie et de la Chine au Conseil de sécurité. Ce qu’on ne nous dit pas, c’est que la junte birmane entretient d’excellentes relations d’affaires avec tous les pays du monde. Tout comme avec certaines entreprises multinationales. Un exemple : TotalFinaElf. Cette entreprise pétrolière française a construit le gazoduc Yadana en Birmanie dans les années 1990. Accusée il y a quelques années d’avoir recouru à des travailleurs forcés fournis par l’armée birmane, Total s’est défendue comme un beau diable et a fait appel à…BK Conseil. C’est-à-dire le bon Docteur Kouchner, lequel, ça tombait bien, n’avait justement rien à faire (on était en 2002 et s’il rêvait alors d’être candidat à la présidentielle de 2007, il ne savait pas encore qu’il serait appelé à devenir proconsul de l’ONU/OTAN au Kosovo puis ministre des Affaires étrangères français, malgré son anglais exécrable et grandguignolesque : voir par exemple son interview désopilante in English à Newsweek television). Et pour la modique somme de 25 000 € (plus les frais, bien sûr), notre bon French Doctor a torché vite fait-bien fait un rapport exonérant totalement Total de tout crime de lèse-droits de l’homme. Pour ce rapport, BK a passé une journée à Genève, une journée à New York et trois petites journées en Birmanie. Et Total a pu publier sur son site web le rapport la blanchissant. Détail hilarant : dans ses recommandations, le bon Docteur faisait l’astucieuse suggestion que l’Institut Pasteur ouvre une filiale à Rangoon, pour lutter contre la malaria et le SIDA, qui galopent en Birmanie, filiale qui pourrait être sponsorisée par Total. Il va sans dire que BK s’imaginait à la tête de cet Institut. Il n’avait pas de boulot à l’époque et il faut dire que les Birmanes sont très jolies… Et notre French Doctor est un coureur mondial et invétéré de jupons en tous genres. L’affaire Total s’est ensuite réglée : les plaignants en Belgique se sont vus opposer qu’ils n’étaient pas belges – forcément, ils étaient birmans – et que donc la fameuse « compétence universelle » belge ne les concernait pas ; quant aux plaignants en France – auprès du tribunal de Nanterre -, leur avocat, Me William Bourdon, qui dirige l’association Sherpa, a négocié avec Total un dédommagement financier en échange du retrait de la plainte : ils ont touché 7 fois 10 000 Euro. Bref, l’opération blanchiment n’a coûté à Total que 100 000 petits €, ce qui est une goutte d’eau dans une mer de gaz.
Vous ne me croyez pas ? Eh bien lisez donc
Birmanie : Kouchner n’a pas vu d’esclaves mais Total les indemnise, par Maxime Vivas, 1er décembre 2005
Relation d’un voyage et la découverte d’une industrie muette, par Bernard Kouchner, 29 septembre 2003

Aujourd’hui, BK est ministre. Après ses deux gaffes sur l’Irak (en août, il a demandé à Condi Rice de dégager le Premier ministre fantoche Al Maliki, auprès duquel il s’est ensuite excusé, prétendant qu’il avait voulu citer des Irakiens qui demandaient sa démission) et sur l’Iran (en septembre, il a proféré une petite phrase sur la guerre imminente contre l’Iran, qui a de nouveau été « mal interprétée » : BK est un GI – Grand Incompris), que va-t-il faire ou plutôt dire – car il ne fait rien, il se contente de parler – sur la Birmanie ? Je crains moi aussi le pire.

En tout cas son boss va recevoir à l’Élysée le mercredi 26 septembre à 17 h 30 le Dr Sein Win, Premier Ministre du gouvernement de coalition nationale de l’Union birmane (gouvernement démocratique en exil, formé après l’annulation des résultats des élections de 1990 par la junte militaire) et cousin d’Aung San Suu Kyi. Il sera accompagné de l’actrice Jane Birkin ainsi que de Frédéric Debomy, coordinateur d’Info Birmanie, une association qui œuvre en soutien aux démocrates birmans depuis 1996.



Que va dire Sarko ? Que va-t-il faire ? Envoyer les paras à Rangoon ? Sauter en parachute sur Mandalay ? Trouvera-t-il un créneau dans son agenda, entre un raid sur la forêt gabonaise et une visite à la guérilla colombienne, en compagnie d’Hugo Chávez, pour ramener à la civilisation la malheureuse Ingrid Betancourt, qui se morfond dans la jungle ? C’est du moins ce qu’on dit. En tout cas, la directrice de campagne d’Ingrid, Clara Rojas –elle aussi prisonnière des FARC -, elle, ne semble pas trop s’ennuyer, dans cette fameuse jungle colombienne, puisqu’elle y a donné naissance à un beau bébé, Emmanuel, aujourd’hui âgé de trois ans, fruit de ses amours avec un guérillero.


Il pleut sur Rangoon : plus de 30 cm en quatre jours. Les valeureux bonzes et bonzesses continuent leur combat. En 1988, le mouvement pour la liberté avait eu 3 à 4 000 morts. Une nouvelle génération continue le combat contre une junte militaire au pouvoir depuis 45 ans, dirigée par un général malade de 74 ans, Than Shwe, qui nage dans le luxe.

En juillet 2006, lorsqu’il a marié sa fille Thandar, les Birmans ont été choqués par l’étalage de luxe, révélé par une vidéo qui a beaucoup circulé. Et on pouvait voir au cou de l’héritière une rivière de diamants et sur sa chevelure en pièce montée une flopée de perles, le tout d’une valeur de quelques petits millions de dollars.
Les Birmans n’ont pas peur de mourir sous les balles, puisque c'est bon pour le karma. Ils ont la constance de l’éléphant et la bravoure du tigre. Et ils n’attendent rien des French Doctors.

Bonne semaine, quand même !
Que la Force de l’esprit soit avec vous !

Post-scriptum du 26 septembre : je fais une exception à ma règle de ne jamais retoucher mes chroniques une fois celles-ci publiées. J'ai pu voir la performance catastrophique de l'inénarrable Jane Birkin au journal de 20 heures de France2 mardi soir (dans mon marigot, on le capte par beau temps sur TV5). Eh bien, avec de tels avocats, le mouvement de résistance birman est vraiment mal barré. La pauvre Jane, comme toujours submergée par ses émotions, a bafouillé répétitivement des approximations, incapable de donner une seule information précise, se contentant de pleurer sur le sort de Aung San Suu Kyi, réduite au rang d'une vulgaire Ingrid Betancourt. Or, Daw Aung San mérite mieux que ça. Et ce crétin de Pujadas, en annonçant qu'une "délégation" allait rencontrer Sarkozy ce mercredi 26 n'a même pas dit qu'il s'agissait du Premier ministre du gouvernement birman en exil. Misère de la société spectacle face au spectace de la société misère...

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