lundi 30 avril 2007

N° 35 – Recomposition, équilibrisme, impossible social-démocratie française : danse sur un fil

Funambules, par Viviane Sermonat, d’après John William Waterhouse
Chaque élection présidentielle française apporte ses surprises et est l’occasion de recompositions par lesquelles les appareils des partis politiques tentent de s’adapter aux évolutions de l’électorat, à partir évidemment des interprétations qu’ils en font, lesquelles ne brillent pas toujours par la finesse et l’intelligence.
La grande surprise du premier tour de l’élection 2007 aura donc été le score stupéfiant de François Bayrou, qui a plus que doublé les scores habituels de son parti, l’UDF, fondé par Giscard d’Estaing alors président pour regrouper ses partisans, dégoûtés de la brutalité d’un RPR alors dirigé par Chirac. L’UDF regroupe – peu ou prou – ce qu’il est convenu d’appeler des démocrates-chrétiens à la française, lointains héritiers du MRP de l’après-guerre. L’UDF a toujours été classée à droite et a participé à tous les gouvernements de droite depuis sa naissance.
Soudain, l’année dernière, Bayrou amorce le virage en votant le vote de défiance au gouvernement. L’homme a des ambitions suprêmes. Il commence alors son inexorable ascension. Et voilà qu’il déclare que son part n’est plus à droite sans pour cela être à gauche, bref qu’il est LE centre.
Stratégie payante : il arrive en troisième position à l’élection.
Résultat : les voix des électeurs de Bayrou sont les plus convoitées par les deux candidats restés en lice, Sarkozy et Royal. Comme je le prophétisais la semaine dernière, Bayrou a été très malin : il a refusé et refusera de donner des consignes de vote pour le 6 mai, laissant les électeurs libres de leur choix. Il prépare déjà la prochaine bataille : les élections législatives de juin, où il souhaite évidemment provoquer un raz-de-marée pour constituer un groupe parlementaire beaucoup plus étoffé que l’actuel, en doublant ou même triplant le nombre de ses députés.
Pour cela, il annonce la création d’un nouveau parti, le « Parti démocrate ». Il aura du mal à trouver un sigle pour ce parti : PD ferait ricaner toute la France et PDF ferait rigoler tous les internautes. Enfin, on compte sur ses conseillers en communication pour trouver quelque chose.
L’attitude de Sarkozy et Royal face à la surprise du 22 avril a été à l’image des deux candidats : brutale pour le premier, doucereuse et charmeuse pour la seconde.
Sarkozy a refusé l’idée d’un débat public avec Bayrou, s’inscrivant dans la tradition de rudoyement brutal des centristes instaurée par de Gaulle et poursuivie par Chirac. Pendant qu’il méprise publiquement Bayrou, ses hommes travaillent intensivement les hommes de Bayrou au corps pour les rallier un à un à Sarkozy. Pour faire ce travail, ils peuvent compter sur deux « traîtres » de choix, Gilles de Robien et André Santini, qui expliquent que s’ils appellent à voter pour Sarkozy, ils seront assurés d’être réélus députés. Sinon, l’UMP ne leur fera pas de cadeaux et les é-li-mi-ne-ra. Résultat : à l’heure où j’écris, la majorité des députés UDF appellent à voter Sarkozy.
Royal a accepté l’idée d’un « dialogue » avec Bayrou, qui a eu lieu le samedi 28 avril et a duré deux heures. Courtois, tout en salamalecs, un vrai ballet. Mais qui était le cobra et qui était a mangouste ? Conclusion : ils ont des accords sur pas mal de choses et des désaccords sur pas mal d’autres. La fusion du PS et de l’UDF n’est pas pour demain. Donc pas d’UDS, ni de PDS ni de PSD.
En observant le cirque électoral depuis mon marigot – grâce à la parabole – j’ai eu, en voyant et écoutant Royal, une vision : celle d’une funambule. Royal marche sur un fil tendu d’où elle risque très fort de tomber le 6 mai. En effet, plus elle s’adresse aux électeurs centristes, et plus elle perd des voix d’extrême-gauche. Après le dialogue avec Bayrou samedi, elle va donc faire jouer les violons de gauche avec un grand meeting, suivi d’un concert, le mardi 1er mai, au Stade Charléty de Paris. Et dimanche, interrogée sur une télévision, elle déclarait carrément être totalement d’accord avec le slogan de campagne d’Oliver Besancenot : « Nos vies valent mieux que leurs profits ». Histoire de convaincre les électeurs du facteur rouge de ne pas s’abstenir le 6 mai et de venir voter pour elle.
Le choix du Stade Charléty n’est pas innocent. Explications à l’usage des ignorants.
Le lundi 27 mai 1968, 70 000 personnes participaient à un meeting au Stade Charléty, organisé par l’UNEF, la CFDT et le PSU et boycotté par le PCF et la CGT. L’aile réformiste du mouvement de Mai 68 voulait mettre sur les rails une solution Mendès-France, grande figure de la gauche réformiste, ancien Président du Conseil de la IVème République. Mendès assista au meeting mais n’y prit pas la parole. Une partie de la foule cria « Mendès Président ». Le lendemain, François Mitterrand donnait une conférence de presse pour annoncer que PMF (c’est ainsi qu’on appelait Pierre Mendès-France) et lui-même étaient prêts à prendre la relève de De Gaulle. Le PCF et la CGT, après quelques hésitations, s’engageaient aussi dans cette « coalition » qui fit long feu. De Gaulle et Pompidou répondirent en désamorçant la grève générale ouvrière – par la concession de 25% d’augmentations de salaires, en dissolvant le Parlement et en organisant de nouvelles élections, qui virent une victoire écrasante de la droite gaulliste.
Pour Mitterrand, il faudra attendre encore 13 ans pour arriver au pouvoir. C’est son remarquable machiavélisme qui a permis à la « gauche » socialiste de parvenir au pouvoir. En mettant sur les rails Le Pen et son Front national, Mitterrand a tué deux mouches d’un coup : il a engagé le processus d’inexorable déclin du PCF, qui le concurrençait à gauche et il a divisé les électeurs de droite, dont les voix se sont éparpillées dans le « vote inutile » pour Le Pen, ce qui a permis à Mitterrand de réaliser son score victorieux le 10 mai 1981.
Les socialistes français ne sont pas sociaux-démocrates allemands ou suédois. La grande force de ces derniers ont été les syndicats d’ouvriers, d’employés et de fonctionnaires –qui regroupent presque tous les salariés -, qu’ils dominent à 100%. Les salariés français sont très peu syndiqués – de l’ordre de 10 à 15% - et divisés entre une bonne douzaine de centrales syndicales, dont chacune s’appuie sur des bastions où elle est forte. Et toutes ignorent pratiquement le nouveau prolétariat intermittent, qui passe une partie de son temps à trimer dans des centres d’appel et autres secteurs de la « nouvelle économie », sans parler des fast foods et autres boulots de merde post-modernes.
Les sociaux-démocrates allemands ou suédois ont pu établir un système de capitalisme social à partir de positions de force relative dans les entreprises, arrachant ainsi des concessions non négligeables aux patrons, en échange de leur acceptation du système. Bref, ils vendu la classe ouvrière pour un plat de lentilles, mais des lentilles dorées.
Quand on voit Madame Royal visiter une usine, on sent physiquement qu’elle est totalement étrangère au monde du travail salarié. Il n’y a d’ailleurs dans la direction du Parti socialiste pratiquement pas un seul syndicaliste ouvrier. Le Parti socialiste est et reste donc un parti bourgeois, certes avec une composante un peu plus populaire que l’UDF, mais il n’y a pas entre eux de différences de classe fondamentales.
Rien, fondamentalement, ne s’opposerait à la grande fusion appelée à grands cris par Cohn-Bendit, Kouchner et les autres imposteurs qui usurpent l’héritage de la révolte de 68, cette "page" que Sarkozy dit vouloir "tourner" (apparemment, mai 68 l'a traumatisé). Avec l'aide d'André Glucksmann, sans doute...
Bref, la gauche française est mal partie. Il faudrait dire plutôt « les gauches » :Le PCF est en voie de disparitionLes trotskystes restent des sectes magouilleusesLes Verts sont hors jeuLes altermondialistes sont incapables de se transformer en force politique autonome, indépendante, offensive et…populaire.
La France se retrouvera au soir du 6 mai avec un président Nicolas Sarkozy.
Chaque pays a les présidents qu’il mérite.
Le Stade Charléty ne fera pas le poids face à un Palais des Sports américanisé où l’on a vu un Sarkozy se prendre déjà pour George Bush, en portant la main à son cœur lors de l’hymne national, geste typiquement yankee. Atteint d’autisme, il ne semble pas comprendre que les Français ne sont pas des yankees et refuseront toujours de se laisser enfermer dans la logique binaire de deux partis uniques et jumeaux alternant au pouvoir. Bref, nous ne sommes pas au bout de nos surprises avec ces sacrés Français.
Et n’oubliez pas cette maxime : si les élections pouvaient changer quelque chose, il y a longtemps qu’elles seraient interdites.
Dernière remarque : mercredi 2 mai, on aura droit au grand duel télévisé Royal-Sarkozy. Ils ont tous les deux intérêt à bien choisir les couleurs de leurs tenues. Richard Nixon avait perdu l’élection présidentielle de 1960 contre Kennedy, pour une raison toute bête : lors de leur premier débat télévisé – le premier de l’histoire – il portait une chemise blanche, laquelle, à la télé en noir et blanc de l’époque, paraissait grise. Alors, Ségolène ? Tailleur rose, bleu, rouge ou beige ? C’est la question la plus importante de la semaine qui vient.

Bonne semaine, quand même !
Que la Force de l’esprit soit avec vous !

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